Licenciement nul : la réintégration est-elle devenue interdite ?

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Posté le Le 11/12/2015 à 05:16
Bonjour,

Voici ci dessous mon histoire et un arrêt qui me concerne et me chiffonne.

Pour faire très bref, senior et l'employeur veut se débarrasser des vieux, un résumé en trois lignes, mais c'est plus compliqué.

Licenciement reconnu discriminatoire (appel et cassation) avec demande de réintégration. Au motif que j'avais liquidé ma retraite (mais bien obligé, quand on n'a plus de salaire, comment vivre ?).

Cela me paraît poser de vraies et très graves questions de fond. Lire le détail ci-dessous... d'où un titre un peu provocateur, mais...

Il est à noter que :

-. plusieurs salariés (de la même entreprise, à des postes de travail similaires) sont dans des situations juridiques strictement identiques : licenciements reconnus nuls pour violation d'un droit fondamental (le même pour tous), ayant liquidé leurs retraites (CNAV et complémentaire), et que

-. la justice donne deux solutions incompatibles, car contradictoires :

- à 7 d'entre eux, la justice donne droit à la réintégration (cour d'appel de Paris, cour administrative d'appel, cour de cassation, conseil d'état)

- à 1 seul la réintégration est déclarée impossible (cour d'appel de Paris,cour de cassation), au motif que la retraite a été liquidée.

Les termes des conclusions et les plaidoiries sont identiques (mêmes avocats, plaignants ou défense).

C'est un peu long, mais je crois que c'est très clair

Merci de vos avis, et si vous avez des exemples d'arrêts qui peuvent m'aider, merci de me les donner.
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1-. Préliminaires et position du problème

A-. Mon cas


En juin 2008 mon contrat de travail a été rompu par mon employeur. J'ai contesté cette rupture unilatérale de mon contrat de travail, dont j'ai demandé la requalification en licenciement devant la juridiction prud'homale, puis en appel et en cassation. J'ai demandé la nullité du licenciement, pour discrimination du fait de l'âge, et ma réintégration dans l'entreprise.
La discrimination du fait de l'âge a été reconnue par la cour d'appel et la cour de cassation.
J'ai assorti mes demandes d'une demande de réintégration dans l'entreprise, selon le code du travail.

B-. Je ne suis pas le seul

Je ne suis pas le seul dans ce cas, nombre de salariés ayant eu leur contrat rompu, ont porté leur affaire devant les juridictions d'appel et suprêmes, dont un délégué syndical, passé lui devant la cour administrative d'appel et le conseil d'état.
Tous ces très nombreux (plusieurs dizaines !) salariés ont obtenu la nullité de leur licenciement pour discrimination du fait de l'âge, confirmée par les deux juridictions suprêmes (cour de cassation et conseil d'état). Seul un petit nombre a demandé la réintégration. Il y en a quand même 7, qui demandent leur réintégration.
Tous ces salariés, pour pouvoir vivre après avoir été licenciés, ont, selon le cas, après une éventuelle période de chômage, liquidé leurs pensions, pensions de retraite complémentaire obligatoire et CNAV. Comment auraient-ils pu faire autrement, leur employeur les ayant privés de ressource.
Voici maintenant où se situe exactement le problème, qui concerne très spécifiquement les salariés ayant demandé leur réintégration, qui est de droit si le salarié la demande selon le code du travail, sauf impossibilité manifeste (il faut par exemple que l'entreprise n'existe plus, ce sont donc des cas vraiment extrêmes) :
Tout d'abord, demandant la réintégration, ces salariés ont précisé qu'ils
"s'engageaient, en cas de nullité du licenciement et de réintégration, à rembourser les sommes indues aux organismes de retraite".
Un seul avocat ayant plaidé la cause de ces salariés, c'était indiqué exactement en termes strictement identiques dans les conclusions, et repris de la même façon dans les arrêts d'appel.

Lors des débats devant la cour d'appel, aucun argument particulier sur les retraites n'a été soulevé par quiconque, le plaignant salarié estimant qu'il était simplement naturel de déclarer que, pour pouvoir vivre, il avait été OBLIGE, par la seule faute (qui plus est, délictuelle) de son employeur le privant de ses ressources, d'éventuellement s'être inscrit au chômage et de liquider ses pensions, et que, en conséquence, il rembourserait ces sommes injustement dues aux organismes qui les avaient payées, puisque, s'il n'avait pas été licencié, comme cela aurait dû être, il n'aurait JAMAIS eu BESOIN de demander des allocations de chômage, ni la liquidation d'aucune de ses retraites, et ces sommes n'auraient donc jamais dû être payées.

Pour la plupart des salariés, la réintégration a été accordée, et suivie d'effet, et d'ailleurs, la Caisse de retraite complémentaire a pris la décision d'annuler la liquidation qui avait été faite, appliquant logiquement que, le licenciement étant nul, il n'y avait pas une reprise d'activité après une absence, mais qu'il y avait une carrière qui ne s'était pas arrêtée. Elle a donc exactement tenu compte de la nullité.

2-. Les précisions sur la nature du problème ; Une violation des droits fondamentaux ?


A-. Entrons un peu plus dans les détails du raisonnement.

Alors voici donc ce qui s'est passé, et qui me semble soulever un vrai problème concernant les droits fondamentaux, et probablement trois choses, d'une part le droit à un procès équitable, le droit au travail, et le droit à la retraite... à laquelle un salarié à droit, c’est-à-dire à la fois à un montant de pension correspondant à sa carrière réelle, et à jouir de sa retraite, pendant toute la durée où il peut en jouir, sans lui en retirer le droit de la demander.

La plupart des salariés demandant leur réintégration ont été effectivement réintégrés, à l’exception d’un seul, votre serviteur.

Tous étaient exactement dans une situation juridique exactement identique, licenciés, ayant liquidé leurs retraites, licenciement reconnu nul et demandant leur réintégration.
Pour tous, sauf un seul, la cour d’appel de Paris et la cour d’appel administrative d’appel de Versailles prononce la réintégration, et prend acte de l’engagement de rembourser les sommes indûment perçues. La cour de cassation confirme exactement la même chose pour l’un, le conseil d’état pour u autre. Pour deux d’entre eux, l’employeur, échaudé des dizaines de procès qui sont faits et qu’il perd systématiquement, se désiste du pourvoi qu’il avait formé.
Deux salariés qui avaient été réintégrés par la cour d’appel, attendent une décision de la cour de cassation à leur endroit.

Dans mon cas, la cour d’appel, tout en reconnaissant la nullité du licenciement, considère que, puisque j’ai demandé la liquidation de ma pension de retraite, cela rompt définitivement tout lien avec l’employeur et qu’en conséquence toute réintégration est impossible La cour de cassation, sans aucune explication particulière, confirme simplement dans les mêmes .termes l’impossibilité de réintégration. De plus, bien que n’ayant pas pu débattre au fond sur ce point précis lors de l’audience –le juge avait le droit de rouvrir les débats pendant le délibéré, ce qu’il n’a pas fait-, la cour de cassation a estimé qu’à partir du moment où il était simplement écrit dans les conclusions que le salarié avait mentionné qu’il avait pris sa retraite à telle date, et proposait de rembourser, le sujet était dans le débat.

Une précision, la date à laquelle le salarié (moi) a liquidé sa retraite est en mai 2009, et, à cette époque, le cumul emploi-retraite était possible (mais je ne sais pas si cela peut avoir un rapport…).

B-. la violation des droits fondamentaux

Les conséquences d’un arrêt qui interdit toute réintégration lorsqu’on a liquidé sa retraite

Rappel, un employeur licencie un salarié, et prive ainsi ce salarié de ses ressources.

Ledit salarié qui conteste son licenciement ne donne donc pas acte à cet employeur de ce que l’employeur l’a licencié. C’est d’autant plus le contraire lorsque ce salarié demande que la justice se prononce, pour violation d’un droit fondamental, sur la nullité du licenciement, et demande sa réintégration, qui est de droit, selon le code du travail.

La conséquence directe du licenciement, est que le salarié, pour vivre, une fois qu’il a été licencié, ses ressources étant supprimées par son employeur, se tourne vers les organismes qui peuvent lui donner des ressources pour vivre, les caisses de retraites, et, si tous ses droits ne sont pas ouverts, préalablement aux caisses de retraite, l’assurance chômage.

Peut-on interdire à un salarié de liquider ses pensions, de se tourner vers les assurances chômage, quand, du seul fait fautif de son employeur, il est licencié, et donc privé de ses ressources ?

Car c’est exactement en ces termes que le problème se pose.

Voici ce que j’en pense (je suis un béotien) :


On a plusieurs salariés, dans des conditions juridiques strictement identiques, avec des conclusions identiques, et une majorité de jugements favorables à la réintégration (cour d’appel, cour de cassation, cour administrative d’appel et conseil d’état), et un seul jugement défavorable.
Pire, en fait, non seulement ces jugements ne sont pas identiques, mais ils donnent des solutions qui ne sont pas simplement différentes, elles sont totalement incompatibles et incohérentes.

a)-. Première conséquence, un jugement inéquitable

Comment peut-on dire :

Monsieur X et Monsieur Y, vous êtes exactement dans la même situation. Vous demandez tous deux la position Z.

Voici la solution :

Alors moi, justice française, je déclare
Monsieur X, vous êtes dans votre droit de demander Z et je vous l’accorde
Monsieur Y, je reconnais bien que vous êtes dans la même situation que Monsieur X, Monsieur A, Monsieur B, Monsieur C, Monsieur D, que ces messieurs ont tous demandé Z et que je le leur ai accordé Z, Mai pour vous, ce sera différent, car, même si la loi n’a pas changé, vous demandez Z comme les autres, mais c’est interdit, et tant pis si vous n’avez pas pu argumenter au fond sur ce sujet.

L’incohérence, pire, l’incompatibilité des solutions juridiques sont patentes.

Quid de la réflexion de la cour de cassation et du conseil d’état sur le sujet, car, même pour la cour de cassation, qui, dans mon seul cas, donne raison à la cour d’appel en affirmant que le sujet était débat, peu importe qu’on n’ait pas pu donner le moindre argument, alors elle aurait pu le voir d’elle-même depuis bien plus longtemps, et que les juges d’appels précédents auxquels elle avait donné raison de réintégrer, commettaient une faute de droit en jugeant possible une réintégration qui ne l’était pas, en s’auto saisissant du problème, ce qu’elle n’a pas fait, comme le juge d’appel qui s’est « autosaisi » du problème ?

Première question, s’agit-il bien d’un procès équitable ?

En fait, finalement, le salarié a péché par son honnêteté, il aurait mieux fait de ne pas en parler… belle leçon de morale, devant un employeur que la justice encourage au délit***

***En effet, c’est un peu hors sujet, mais l’employeur a tout intérêt d’avoir ce comportement délictuel pour diminuer, un peu sa masse salariale (c’est un très gros groupe, et ce sont des centaines de salariés qui ont été ainsi licenciés de façon discriminatoire.
Les indemnités accordées par la justice, parmi les plus fortes dans mon cas, s’élèvent à environ 15 mois de salaires, pour, jusqu’à maintenant, un peu plus de sept années de travail non payées, c’est-à-dire que, grâce à la justice, « complice objective » de la discrimination, l’employeur économise Sept années de salaires ainsi que 50% de charges sociales, et les caisses de retraites n’ont pas les cotisations correspondantes.

b)-. Deuxième conséquence : la violation du droit au travail

En effet, dans le cas cité, la demande de réintégration est interdite, d’après les conclusions de l’arrêt au motif, ou au prétexte que le salarié a liquidé ses droits. Mais cette liquidation n’est pas préexistante, elle n’est que la conséquence d’un licenciement qui non seulement n’aurait jamais dû avoir lieu, mais qui, en réalité, n’a jamais eu lieu.
Ce licenciement n’ayant jamais eu lieu, on peut même dire que d’une certaine manière, c’est illégalement que le salarié a souscrit à l’assurance chômage et a liquidé ses diverses pensions.

En effet, pour pouvoir s’inscrire au chômage, il faut que le lien avec l’employeur soit rompu. Il en est de même pour les pensions de retraite. Le salarié n’a aucune possibilité juridique, alors qu’il est employé percevant un salaire, ni de s’inscrire auprès des organismes de l’assurance chômage, ni de liquider la moindre pension de retraite. D’ailleurs, il ne l’a pas fait, et quant à la liquidation de ses pensions, l’une, la pension complémentaire a été liquidée lorsqu’il a été licencié, et l’autre n’a été liquidée qu’après la période de chômage, car il n’avait pas tous ses droits.

Pourquoi ce salarié l’a-t-il fait ? Pourquoi s’est-il inscrit aux assurances chômage ? .Pourquoi a-t-il liquidé ses pensions ?
Parce que, et uniquement pour cette raison-là, de la seule faute d’autrui, son employeur, qui le prive de toute ressources ?
C’est un état de fait qui lui est unilatéralement imposé, un cas de force majeure qu’on ne saurait lui reprocher, et c’est justement ce que font ces arrêts.
Ces arrêts disent en effet en substance : « Monsieur, si vous vouliez être réintégré, il fallait vous priver des ressources que vous apportaient les caisses de retraite. Donc, pour pouvoir demander votre réintégration, pour pouvoir payer vos avocats contre votre employeur, débrouillez-vous autrement qu’en liquidant vos pensions, peu importe que vous disiez que vous rembourserez les sommes indues.
Bref, pour pouvoir être réintégré, comme le droit du travail vous en donne le plein droit si vous le demandez, il fallait que vous vous priviez de vos moyens de vivre, vous deviez vivre sans ressources ».

Cela veut dire, puisque, de ce fait, en réalité, vous ne pouvez pas ne pas liquider vos pensions, le droit à la réintégration étant, de-facto, ainsi interdit, cela viole le droit fondamental à avoir un travail.

On ne voit pas en quoi, en réalité, il y a incompatibilité entre la réintégration et la retraite.
En fait, les arrêts ne semblent pas tirer toutes les conséquences de la nullité du licenciement, du fait qu’il n’a JAMAIS existé.
On notera que, de plus, la loi autorisant le cumul emploi-retraite, sauf erreur de ma part, est entré en vigueur début 2009, et que le salarié a liquidé sa retraite début mai 2009. Il n’y avait pas incompatibilité.

On remarquera aussi que, la caisse de retraite complémentaire, saisie des demandes de plusieurs salariés réintégrés su ce sujet a traité ce cas de manière logique :
Dans les statuts de cette caisse, lorsqu’un salarié a une interruption de travail et reprend après quelque temps son travail, il a pu liquider ses droits avant, et il signale qu’il reprend le même travail (ce peut être chez un autre employeur, peu importe), il y a interruption de la pension, et ses droits sont recalculés avec une carrière qui recommence au moment où il reprend. Mais là, dans le cadre de la réintégration, elle a eu un raisonnement logique. La caisse a décidé de considérer que, le licenciement étant nul, il n’avait jamais existé et en conséquence, la première liquidation devait être annulée, les salariés devaient rembourser les sommes indûment touchées, et la carrière avait été continue, sans interruption.
Il y a eu un cas où, peu importe, la CNAV a été obligée de revoir la pension de retraite, ce qui prouve que cela est possible. En plus, la CNAV, qui serait remboursée des sommes indûment versées y aurait intérêt. S’il est nécessaire d’avoir une décision de justice sur le sujet, le juge d’appel aurait très bien pu, finalement, juger autrement et dire que, le licenciement étant nul et réputé inexistant, les inscriptions à l’assurance chômage et les liquidations de pensions devenant ipso-facto illégales, ou à tout le moins irrégulières.
Ce qui autorisait la réintégration, qui est « de droit » si elle est demandée, dans le cas d’une violation d’un droit fondamental, ce qui est le cas en l’espèce.

Ces arrêts, ne tirant pas toutes les conséquences de la nullité du licenciement du salarié, violent le droit fondamental au travail.

L’employeur et le juge ne peuvent dans ce cas évoquer les impossibilités de de réintégration, puisque, juste avant et juste après la demande de ce salarié, d’autres salariés ont été effectivement réintégrés et certains y travaillent toujours.

c)-. Troisième conséquence : on bafoue le droit à la retraite

De ce qui ressort de ce qui a été dit ci-dessus, le salarié n’a que peu de choix, partant toujours de l’hypothèse que ces arrêts interdisant à un salarié d’être réintégré soient justifiés.

Le salarié qui veut être réintégré, doit donc, nécessairement, se priver des ressources de ses pensions de retraite, et donc ne les liquide pas quand il le peut. Il est très clair que, dès qu’il liquide ses pensions, l’interdiction de réintégration lui est faite, il est alors certain de ne pas être réintégré. Mais c’est cela qu’il veut et la réintégration un droit absolu auquel le juge ne peut pas se soustraire, sauf impossibilité absolue..

Les procédures judiciaires sont très longues, nul ne le contestera.

Si, par hasard, puisque, et je l’ai, hélas pour vu dans mon cas, le salarié n’obtient pas gain de cause et est débouté, ou même si on lui donne partiellement raison, mais sans le réintégrer, son licenciement n’étant pas jugé nul, ou si on lui donne tort, peu importe, dans tous ces cas, il n’aura pas liquidé ses droits à pensions, et n’aura donc pas pu toucher quoi que ce soit –de quoi aura-t-il vécu, n’est pas le problème.
Or, dans tout régime de pension, quel qu’il soit, il n’y a JAMAIS rétroactivité, la pension n’est servie qu’a partir du moment où on la demande, et il n’est pas possible d’en demander la rétro activité
En un mot, la conséquence de ces arrêts est d’interdire, pour pouvoir demander ce qui est de droit, et un droit fondamental, le droit au travail, de demander ses pensions, qui implique une perte possible de plusieurs années de pensions auxquelles on aurait eu droit.
« Double peine » dans ce cas, ni réintégration, et des années de pensions perdues.
Ces arrêts imposent
de prendre un risque exorbitant de perdre près d’une dizaine d’années de pensions de retraite.
de se passer de ressources pendant toute la durée de la procédure
Les magistrats qui ont pris ces arrêts y voient peut-être un moyen de combattre le déficit des caisses de retraites… Maïs le salarié qui ne demande qu’à les rembourser, n’y contribue-t-il pas encore mieux, remboursant les pensions indûment perçues et faisant de plus rentrer les cotisations perdues par la faute de l’employeur, qui plus est faute délictuelle ?

Le droit à percevoir une retraite décente, et toute sa retraite, n’est-il pas un droit fondamental ?

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout.

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