Posté le Le 21/02/2025 à 00:02
Bonjour,
Je suis un étudiant algérien ayant un titre de séjour étudiant depuis deux ans. Mon prénom est religieux, et je trouve qu’il me pose énormément de problèmes.
En fait, j’ai l’impression d’être traité de manière discriminatoire dans la plupart des cas. Je galère pour trouver un stage : j’ai passé plus de six mois à chercher une alternance en informatique, et imaginez que je n’ai passé aucun – je dis bien aucun – entretien.
Depuis juillet 2024 jusqu’à aujourd’hui, je cherche un logement sur tous les sites et toutes les plateformes, et malgré le fait que j’aie les ressources suffisantes et des garants physiques, je ne reçois que des refus ! C’est la même galère pour le job étudiant : je n’arrive pas à en trouver.
J’ai fait des recherches sur internet, et il est écrit qu’il n’y a pas moyen de changer son prénom si l’on n’est pas français. Si je veux le faire, je devrais le faire dans mon pays natal avant de redéclarer ma situation ici, ce qui est également impossible pour moi.
C’est pour cela que je vous contacte, afin de savoir s’il existe un moyen de m’en sortir.
Je vous remercie.
Posté le Le 14/06/2025 à 08:49
Bonjour,
En premier lieu, je trouve absolument regrettable que le racisme de notre société ait pour conséquence de vous contraindre à modifier des éléments de votre identité.
La discrimination dans l’octroi d’un stage ou d’un logement fondée sur l’origine du demandeur est d’ailleurs constitutive d’une infraction pénale passible de 3 ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende (articles 225-1 et 225-2 du Code pénal).
L’article L. 1132-1 du Code du travail confirme l’interdiction de la discrimination à l’embauche.
L’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 confirme l’interdiction de la discrimination en matière de logement.
Toutefois, déposer plainte ou introduire une action en justice pour discrimination n’est pas chose aisée, bien que certaines voies existent.
Aussi, je comprends que vous envisagiez un changement de prénom.
Vous indiquez qu’un changement de prénom sur votre acte de naissance algérien pour ensuite régulariser à nouveau votre situation en France n’est pas possible.
En conséquence, je perçois deux alternatives : la voie de la naturalisation avec une “francisation” du prénom d’une part, et la détermination immédiate d’un prénom d’usage d’autre part.
Sur la naturalisation :
La loi n° 72-964 du 25 octobre 1972 permet à toute personne qui acquiert la nationalité française de demander la francisation de son nom seul, de son prénom ou des deux, lorsque “leur apparence, leur consonance ou leur caractère étranger peut gêner son intégration dans la communauté française”.
Les articles 21-14-1 et suivants du Code civil posent les conditions de la naturalisation.
L’article 21-18 précise que le délai de résidence en France exigé pour obtenir la naturalisation est réduit à 2 ans “Pour l'étranger qui a accompli avec succès deux années d'études supérieures en vue d'acquérir un diplôme délivré par une université ou un établissement d'enseignement supérieur français ;”.
Peut-être est-ce votre cas, si vos deux années d’études ont été validées avec succès.
Le Code civil pose d’autres conditions à la naturalisation (être majeur, avoir un casier judiciaire vierge, être suffisamment “assimilé” à la communauté française, avec le passage d’un test destiné à vérifier vos connaissances sur le pays et votre maîtrise de la langue française…).
Je vous invite à explorer cette piste de la naturalisation doublée d’une francisation du prénom dans la foulée.
L’inconvénient de cette stratégie est la durée, puisque l’autorité administrative dispose d’un délai pouvant atteindre 21 mois pour répondre à une demande de naturalisation (article 21-25-1 du Code civil).
C’est également l’incertitude, puisque l’autorité administrative dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, le Juge administratif rappelant régulièrement que “la naturalisation ne constitue pas un droit mais une mesure de faveur pour laquelle le ministre de l’intérieur dispose d’un très large pouvoir d’appréciation” (cf. Rapport 2022 du Défenseur des droits).
En outre, la francisation du prénom est conditionnée à une “gêne” dans votre “intégration dans la communauté française” en raison de votre prénom actuel, alors que la naturalisation est conditionnée à une “assimilation” jugée suffisante dans la communauté française.
Ces deux exigences peuvent paraître contradictoires mais à mon sens, l’existence d’obstacles structurels à votre intégration (travail, logement), n’exclut pas une “assimilation” au sens de l’administration (connaissance du pays français, maîtrise de la langue française, liens sociaux en France…).
En toute hypothèse, je vous invite à conserver toute trace de vos démarches de demande de logement, de stage, d’emploi, demeurées infructueuses, et plus généralement, toute trace (témoignage, messages, écrits…) de comportements discriminatoires dont vous faites l’objet (cela pourrait permettre de faire la preuve de vos difficultés d’intégration, mais également le cas échéant d’infraction pénale ou au droit du travail ou au logement à votre encontre).
Choisir un prénom d’usage
Tout d’abord, l’article 57 du Code civil indique que “tout prénom inscrit dans l’acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel”.
Cet article est certes relatif à l’état-civil français, mais la loi ne vous empêche à mon sens pas de choisir d’utiliser votre deuxième ou troisième prénom figurant sur votre état-civil algérien comme prénom d’usage.
Cette possibilité ne répond peut-être pas à votre problématique, si vos autres prénoms risquent de déranger également les racistes.
En dehors des prénoms figurant sur votre état-civil, vous avez la possibilité d’inscrire sur votre CV un autre prénom que vous pouvez revendiquer comme prénom d’usage.
Le prénom d’usage est un prénom que vous pouvez choisir et utiliser dans votre vie quotidienne.
D’ailleurs, certaines universités permettent aux étudiants de faire figurer leur prénom d’usage sur les documents administratifs universitaires comme la carte d’étudiant.
Votre prénom d’origine continuera de figurer sur vos documents administratifs (pièce d’identité, titre de séjour…) et sera connu au moment de la signature du contrat, mais un abandon de votre recrutement pour ce motif serait une preuve flagrante de discrimination à l’embauche.
De même, rien ne vous empêche de faire figurer ce prénom d’usage sur vos profils (Le Bon Coin, etc…), et vos messages de demande de logement ; votre pièce d’identité devra néanmoins être fournie au moment de la conclusion du contrat.
En outre, ce comportement ne pourrait selon moi vous être reproché ni sur le plan pénal, ni sur le plan civil.
→ Sur le plan pénal
Il ne pourrait s’agir ni d’une escroquerie (article 313-1 du Code pénal) ni d’un faux en écriture privée (article 441-1 du Code pénal).
L’escroquerie par usage d’un faux nom implique que ce faux nom soit déterminant du consentement de la personne qui se prétend escroquée (Cour de cassation, Crim. 3 décembre 1998 n° 97-82.158). Tel ne serait pas le cas, à moins pour l’employeur/le bailleur d’admettre que l’origine du prénom a été déterminante pour l’embauche/le logement, ce qui serait un aveu de discrimination. Pour cette même raison, il ne pourrait à mon sens pas arguer avoir subi de préjudice.
Le faux en écriture privée implique “une altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice”. Il reviendrait à l’employeur/le bailleur de démontrer en quoi l’inscription de votre nom d’usage (utilisé dans votre vie quotidienne) serait une altération de la vérité, mais également en quoi un telle altération serait de nature à lui causer un préjudice. A moins d’admettre que votre prénom est déterminant pour lui, donc que son comportement est discriminatoire, aucun préjudice, effectif ou éventuel, ne peut être invoqué selon moi.
D’ailleurs, l’article 225-3-1 du Code pénal autorise les opérations de testing, c’est-à-dire la sollicitation d’un contrat dans le but de démontrer l'existence du comportement discriminatoire, dès lors que la preuve de ce comportement est établie.
→ Sur le plan civil
L’article 1137 du Code civil définit le dol comme “le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges”.
Un tel vice du consentement peut entraîner l’annulation du contrat et l’octroi de dommages-et-intérêts, mais seulement si le mensonge a été déterminant du consentement de la partie qui se prétend trompée (article 1130 du Code civil).
A nouveau, à moins d’avouer que votre prénom a été déterminant dans la conclusion du contrat, ce qui serait un aveu de discrimination, votre employeur/bailleur ne pourra pas invoquer le dol.
En outre, lors de la procédure de recrutement c’est-à-dire avant la conclusion du contrat, vous serez certainement amené à fournir des documents administratifs officiels faisant apparaître votre prénom d’origine. L’employeur en aura donc connaissance avant la conclusion du contrat, lequel ne pourra donc en aucun cas être annulé en raison du nom figurant sur votre CV. De même s’agissant de la conclusion d’un bail.
Cette stratégie a l’avantage de la rapidité.
Je vous invite, si vous choisissez un prénom d’usage (par exemple une version “francisée” de votre prénom d’origine), à le revendiquer dans votre quotidien, ou au moins à en informer vos proches.
Ainsi, si vous avez la possibilité plus tard de faire un changement officiel (notamment s’il s’agit d’une “francisation” de votre prénom d’origine à l’occasion d’une naturalisation), vous pourrez vous prévaloir de cet état de fait (le fait d'être socialement connu sous ce prénom).
J’espère vous avoir apporté des éclaircissements.
Bon courage pour la suite.